Préface de Bachir Boumaza
« Le Muguet ensanglanté » d’Amer OUMALOU est d’une sensibilité et d’une attention on ne peut plus profondes.
Il s’agit en effet,de la présentation d’évènements qui ont révolté l’Algérie et le monde.
Il décrit preuves à l’appui comment LE CRIME COLONIAL FRANÇAIS s’est déroulé à GUELMA le 8 Mai 1945.
Le lecteur est consterné devant tant de cruauté et de déchaînement racial.
Il évolue d’un malheur à l’autre et se demande COMMENT ET POURQUOI le « PETIT BLANC » dominateur a emporté dans sa passion raciste les responsables de « L’ORDRE » pour tuer l’indigène sujet innocent et victime immolée du système colonial précisément en s’en prévalant.
Une interrogation qui conduit la conscience à énumérer les faits objectifs, à se pencher minutieusement sur des documents accablant à enquêter sur place,à photographier,à nommer sans oublier personne ceux qui furent persécutés par la mort et par la haine,à décrire l’horreur dans ce mois où dans les pays civilisés,on offre le muguet…
Vous criez alors avec OUMALOU, NON ! DOMMAGE !
L’attentat ne devait pas être commis contre le peuple Algérien courageux, la liberté ne pouvait pas être agressée en Algérie au moment où elle triomphait dans le monde.
Amer OUMALOU sait nous faire percevoir le malheur avec discrétion et retenue.
Il est le chantre de nos martyrs.
Il n’en a omis aucun dans la hâte de communiquer leur tristesse et leur douleur.
Le bourreau se pressait.
Il voulait en finir, et vite !
C’est ce que traduit la sobriété, la densité, la précision de l’écrit des évènements rapides et bouleversants.
Bref ! Un ouragan de violence.
Un châtiment sanglant de l’indigène, « le jour du muguet ».
Amer OUMALOU est un redoutable narrateur.
Modeste et sérieux, il arrache votre adhésion et vous range du côté des « JUSTES ».
KHERRATA, le 8 Mai 1990
Bachir Boumaza
Note de l’auteur
Depuis le 8 mai 1986, date de la tenue du 1er Festival sur la Résistance Populaire à travers l’Histoire de l’Algérie,organisé à Guelma,l’idée d’écrire ce livre a hanté mon esprit et m’a persécuté sans relâche.
L’importance historique des évènements du 8 mai 1945 et surtout leur impact sur la glorieuse révolution de Novembre se doivent d’être mis en relief.C’est une partie intégrante de l’Histoire de notre pays.Ecrire sur le 8 mai 1945 est une noble intention(un devoir),mais quelle vaste entreprise !Ce n’est ni un roman,ni un essai,et on ne badine pas avec l’Histoire.Et puis…je me suis dit : « tu vis à Guelma,une des villes martyres du 8 mai 1945 ;elle en est encore imprégnée. Tu peux faire une moisson considérable de témoignages qui t’aideront à fortifier ton projet ;décides toi avant que ne tarisse la source ».Et ma conscience alors !
« Tu penses que ton livre serait superflu.Tu te trompes.Dis toi qu’on ne rend jamais assez hommage à la mémoire des martyrs.Puisses tu vivre un siècle,tu leur seras toujours redevable de ta liberté,ta dignité et du bonheur de vivre en citoyen à part entière dans ton pays. »
Pourquoi persister dans l’expectative ?Ma décision fut prise :j’écrirai ce livre,et c’est ainsi que je me suis mis à la « chasse » aux documents de l’époque,aux témoignages qui me seraient d’une grande utilité. J’ai consulté tous les ouvrages traitant de l’évènement. Malgré le volume et la qualité de la « récolte »,j’ai toujours eu cette persistante impression que je n’ai pas atteint mon but.
Il m’arrive de penser que je dépasse mes prérogatives ;après tout,je ne suis pas historien et je dois laisser aux spécialistes le soin de faire ce travail de recherche.En effet,un journaliste qui « fouine » à l’étage du dessus !Cela n’a rien de réglementaire.Cependant,je me suis contredis en me disant qu’il fut de mon devoir de contribuer,à ma manière,à l’écriture de l’Histoire de mon pays,quitte à sortir des ornières consacrées de cette immense tâche.
Et c’est ainsi que s’est installée un changement de pensée,qui va du meilleur au pire,dans le fin fond de mon esprit.
Je me devais de respecter scrupuleusement les dates,éviter les anachronismes ;tel chapitre est trop développé,au détriment de tel autre qui mériterait autant d’attention.Faut-il opérer des coupes de ci, de là ?Ah !Il faut revoir l’ordre chronologique des évènements,c’est important !
Une petite erreur,et c’est tout l’ouvrage qui se disloque.Il faudrait tout reprendre.Et puis,non,c’est finalement correct !Je me dois de poursuivre…
Et le style ?Il n’est pas académique,j’en conviens,mais l’importance historique du sujet traité balaye toute hésitation. « La noblesse du but pardonne l’impureté des moyens. »,dit un sage dicton.
Il y a,bien sûr,ceux qui attendent sa parution.Les uns favorablement,parce que tout ce qui concourt à l’écriture de l’Histoire de l’Algérie les réjouit et entre en droite ligne dans leur noble idéal.Les autres qui l’attendent de pied ferme,pour tenter de réduire à néant ce sacrilège qui ne respecte pas,l’impudent,les sacro saintes normes de l’écriture qu’ils ont instituées.Il me faudrait satisfaire les premiers et ignorer les seconds.
J’ai donc continué et suis arrivé au terme de ce livre. Vous avez entre les mains,cher lecteur,un ouvrage qui,s’il n’est pas synonyme de perfection n’en reste pas du moins une nouvelle page de la glorieuse Histoire de notre grand pays.
Amer Oumalou
Introduction
Comme toutes les villes de la planète, Guelma possède ses particularités qui la distinguent des autres cités. Si des curiosités naturelles,des sites historiques,ou même d’originales réalisations humaines font la renommée de certaines localités,Guelma,qui est,dans ce cadre,privilégiée à plus d’un titre,n’en tire pas exclusivement son renom. Elle a bien sa grande cascade de Hammam Meskhoutine, son théâtre romain- l’un des mieux conservés au monde-,sa variété de blé dur(b.d.17) qui influe sur sa vocation agricole et qui est présente dans les tous les manuels des instituts agricoles du monde. Il y a aussi la glorieuse épopée de son équipe de football.
Nonobstant toutes ces richesses, elle est avant tout aux yeux de tous et de l’Histoire, la ville du 8 mai 1945.
Pour avoir fait passer toutes ces particularités au second plan, le 8 mai 1945 a donc eu une influence considérable sur l’histoire de la ville et de sa population. Il en a marqué de manière indélébile l’arbre généalogique et donné naissance à un nouvel ordre de bourgeons. Désormais, on ne peut dissocier le nom de la ville de cette date historique.
Des échantillons de la population, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes à qui il a été demandé ce que leur rappelait « Kef-El-Boumba » ont répondu, unanimes, « les massacres du 8 mai 1945 ».
En effet, aucune famille n’a été épargnée par la sauvagerie colonialiste, lors de ces sanglantes journées. Ceux qui les ont vécues s’en souviendront jusqu’à l’ultime instant de leur existence.
Les plus jeunes ont appris,à la faveur des veillées familiales,le nom du père, de l’oncle et des autres parents tués durant ces journées. Elles ont ainsi marqué l’histoire particulière de chaque famille. Sans exception. Comment cela s’est-il produit ? Quelles en sont les causes ? Les pages qui suivent tenteront d’éluder ces interrogations…
Ce petit bourg qui vivait jusque là aux rythmes de son marché à bestiaux hebdomadaire, de ses campagnes labours-semailles et récoltes-fenaisons laissait paraître un visage plutôt paisible. Il y avait bien cependant ces journées de liesse populaire, parfois indescriptibles,à la faveur des rencontres footballistiques où l’équipe « musulmane » triomphait,dans de chauds derbies,des formations à ossature coloniale ; sinon, c’était la monotonie des jours qui se ressemblaient en se succédant.
Juin 1912 verra la création du Manifeste du Jeune Algérien qui consacrera,par la même,la naissance du Mouvement National.Elle sera suivie par celle d’une nuée d’autres mouvements nationalistes tels que l’Etoile Nord-Africaine (1926), la Fédération des Elus (1927), l’Association des ulama (1931) et le Parti Communiste Algérien (1936).
Le 11 mars 1937,naquit le Parti du Peuple Algérien ;plus « dur »que ses prédécesseurs,il revendiquait l’indépendance du pays et luttait contre la constitution du 2ème collège à l’Assemblée, qui marque par cette institution, le clivage entre les français et les « indigènes ».Ses positions lui ont valu d’être interdit par le pouvoir colonial dès 1939
Guelma était le fief du P.P.A ;le parti y comptait des militants sûrs et des milliers de partisans de sa doctrine. De Guelma se propageait sa propagande à travers toute la partie de l’extrême-
Est du pays ;bastion nationaliste dès la naissance du Mouvement National,Guelma lui était entièrement acquise.
Elle fut le terrain de prédilection de ces militants de la première heure qui prônaient la libération de l’Algérie du joug colonial,à travers une action politique intense,sans répit,en attendant l’heure de passer à l’action.
Elle sera retardée par des évènements qui vont marquer l’Humanité entière…
1939.C’est le début de l’un des plus importants génocides qu’ait connus l’Humanité ;le nazisme défiait le monde libre et menaçait de détruire les nations qui contestaient son homogénéité. Ainsi éclata la deuxième guerre mondiale,avec ses cortèges de morts,de destruction et de déportés.
C’est aussi l’année de l’interdiction du P.P.A ;ses militants n’en devenaient que plus virulents et entretenaient l’agitation,servis,il est vrai,par la situation critique imposée à l’Algérien,et à la famine qui sévissait,elle-même engendrée par la 2ème guerre mondiale. Devant la menace qu’ils faisaient planer sur les colons, ils furent arrêtés et emprisonnés.
ALGERIE 8 mai 1945 Tous contre L'OUBLI
1945. Les nazis, vaincus par la coalition alliée, sont en déroute et capitulèrent en ce début de printemps. Une liesse mémorable couronnait la victoire et la planète retentit des clameurs de joie, parfois hystérique, à la mesure de l’évènement fêté.
Guelma n’y fit pas exception et, déjà le 1er Mai, des manifestations furent organisées à l’occasion de la fête du travail ; elles faillirent dégénérer.
Le 8 Mai, des manifestations furent organisées pour la célébration de la victoire ;se voulant pacifiques,elles furent noyées dans un bain de sang. Il y eut près de 12000 victimes pour la seule région de Guelma. Ce fut un horrible massacre et l’on vit ressurgir, pour ce faire,les horreurs nazies à travers les moyens mis en œuvre pour perpétrer le génocide caractérisé de la population algérienne.
Le contexte de la fin de la guerre mondiale et surtout le nombre de victimes tombées ce jour ont donné une dimension internationale à ces journées de sang,une dimension que le pouvoir colonialiste a essayé –en vain-de minimiser,en tentant de travestir ces évènements historiques en une éphémère révolte locale matée par les forces de l’ordre.
A partir du 8 mai 1945,les protagonistes savaient que rien ne serait désormais plus comme avant ;le peuple Algérien s’organisait et s’attelait à la réalisation de quelque chose de grandiose et les autorités françaises s’en doutaient bien avant son aboutissement. Des documents le prouvent parfaitement.
Le 8 mai 1945 allait être le précurseur du 1er novembre 1954.
Quelques jours après le 8 Mai,la gendarmerie et la police opérèrent à des saisies d’archives dans les locaux des AML.Ils mirent à jour les listes complètes des militants de la région de Guelma.Ils étaient des milliers.Parmi les personnes citées se trouvaient des martyrs du 8 mai 1945.Parmi elles,aussi,étaient présentes des personnes qui,activant au sein des PPA puis du MTLD,concourirent à la naissance du FLN,le 1er novembre 1954.
Le lien fut donc permanent et reliait ces deux dates historiques.Les copies de ces listes existent et les détails en sont donnés en annexe.Cette documentation et les témoignages recueillis auprès des quelques survivants de la répression,des parents de martyrs et de simples témoins de l’époque,ont permis de parvenir à effectuer un travail plausible,et de tracer aussi fidèlement que possible,la chronologie de ces journées tragiques,dans le contexte politico-social qui marquait cette période.
La haute portée historique du 8 mai 1945 et ses conséquences sur le 1er novembre 1954 sont,par ailleurs, les points que cet ouvrage vise à mettre en relief.
Si cette étude est axée sur la seule région de Guelma, ceci est dû uniquement au fait que,établi dans la région depuis quelques années,j’ai côtoyé des gens qui ont vécu ces journées dans leur âme et leur chair. Pour ce faire,les endroits,lieux,et sites qui en ont été le théâtre ont été visités,en quête de témoins qui permettraient,en toute objectivité,de saisir minutieusement les causes exactes et les effets de ces glorieuses journées,en connaître les préparatifs,l’organisation et enfin la terrible répression qui s’ensuivit.
Dans ce même cadre,les principaux villages victimes de la sauvagerie colonialiste ont été sillonnés ;des personnes ayant vécu ces évènements ont apporté leur contribution à travers d’appréciables témoignages.De ces investigations découle le constat suivant :plus de 40 années après le 8 mai 1945,les habitants de cette région en parlent comme si cela ne datait que de la veille,avec une profusion de détails et de remarques impressionnants. C’est la preuve de la vivacité de l’impact de ces journées sur leur destinée commune.Il demeure gravé,indélébile dans la mémoire collective.
On ne saurait taire,en outre,l’apport décisif de la documentation de l’administration coloniale,relative à cette époque et englobant la presque totalité des secteurs de la vie sociale.D’une grande richesse documentaire,parfaitement détaillée et répertoriée,cette documentation tient une part prépondérante dans l’écriture de cet ouvrage.Elle en est l’axe essentiel.
Outre l’intérêt proprement historique,sa lecture révèle indubitablement les formes de vie des populations musulmane et européenne,l’état de leurs relations,à travers le secteur administratif notamment.
Le clivage entre les deux communautés,la forme même du colonialisme et de ses tentacules qui enserraient jusqu’à l’étouffement les algériens,ressortent des rapports de police et des circulaires inter-administrations.
On y découvre aisément les critères du système colonial et sa façon de réglementer tous les secteurs de la vie communautaire de la population ;ainsi,les affaires relevant de l’état civil,la circulation des personnes,le rationnement,les conflits familiaux,l’agriculture,la naturalisation des européens installés en Algérie et jusqu’à la transhumance des nomades y sont répertoriés.
La lecture assidue de cette documentation exerce une action de transposition de notre époque à celle qu’elle concerne,tant les détails,sériés,de la vie communautaire d’alors en sont parfaitement révélateurs.
De la masse appréciable de ces documents,les pièces retirées sont,je l’espère,susceptibles d’apporter la lumière sur beaucoup de points ;d’autres pièces concernent directement les journées du « 8 mai 1945 » et sont révélatrices de la panique qu’elles semèrent dans les rangs des colons.
Aussi ce travail se veut une modeste contribution à travers cette nouvelle page qui s’ajoute ainsi à celles,nombreuses,qui retracent les points forts de la glorieuse Histoire de notre grand pays.
PREMIERE PARTIE
En ce début du mois de Mai de l’année 1945,Guelma subit le charme d’un printemps au faîte de son épanouissement ;il étale,dans toute sa gloire,ses merveilleux présents à une nature qui ne finit pas de se complaire dans sa lune de miel. C’est en effet ses noces et des myriades de fleurs embaument la ville,sous un ciel sans nuages où trône un soleil radieux.
La population vaque à ses affaires,perpétuant un cycle qui frise la routine et totalement étrangère à ce climat harmonieux,tant son esprit est l’objet de multiples préoccupations qui ne lui laissent pas le temps nécessaire pour goûter la symphonie printanière,préoccupations nées du contexte de la seconde guerre mondiale dont on attend le proche dénouement et qui a semé le malheur et les larmes dans presque tous les foyers algériens.
La plupart des jeunes algériens sont,en effet,engagés sur le front,partout en Europe,aux côtés des forces alliées contre l’hydre nazie,laissant leurs familles dans la consternation et la douleur et en proie aux vexations,brimades,et mauvais traitements de la part de ceux là mêmes qui occupent leur pays depuis plus d’un siècle.
A cette dramatique situation s’ajoute la famine et les épidémies qui n’épargnent pratiquement aucune couche de la population algérienne,et particulièrement la frange infantile.
Ce fut la noire époque du rationnement et qui vit les algériens en venir à manger de l’herbe pour suppléer à une alimentation très en dessous des normes,et qui a frisé l’inanition.
C’est dans ce climat social,à la limite de l’invivable qu’active le Parti du Peuple Algérien(PPA),dernier-né des mouvements politiques issus du mouvement national. Interdit par le pouvoir colonial en 1939,il s’est fondu dans les Amis du Manifeste et de la Liberté(AML),mouvement légal,pour poursuivre son action. Fortement implanté à Guelma,le PPA a toujours entretenu une agitation,remettant en cause l’institution du 2ème collège à l’Assemblée Nationale qui opère ainsi une séparation des pouvoirs,octroyant aux députés algériens un rôle purement consultatif.
Le contexte de la seconde guerre mondiale, qui a vu l’effritement de la puissance française,a été mis à profit par le PPA pour amplifier ses activités politiques,en attendant le moment propice pour passer à l’action,avec,en point de mire,la fin de la guerre-qui n’est plus qu’une affaire de quelques jours-pour rappeler aux Français la promesse faite aux Algériens de revoir leur statut politique,s’ils s’engageaient à leurs côtés contre l’Allemagne nazie.
Pour ce faire,tous les militants de Guelma sont fin prêts.
M.Abdallah YALLES,militant du PPA dès 1943 raconte qu’ « à l’instigation de la cellule du PPA de Guelma,et une semaine jour pour jour avant le 8 mai 1945,des manifestations sont organisées à l’occasion du 1er Mai,fête du travail ;partis du siège de la sous préfecture,les manifestants empruntèrent l’actuel boulevard du 1er Novembre et se dirigèrent vers l’ancienne mairie.
A la hauteur du trésor, banque d’Algérie d’alors,ils furent arrêtés par un imposant barrage de gendarmes casqués,armés de mousquetons avec,à leur tête,le sous préfet Achiary qui tente alors d’engager le dialogue.
-Je veux parler à l’un de vos responsables.-C’est moi le responsable, lui répondit Ahmed OUARTSI,un jeune de 18 ans.
-Tu es trop jeune,je veux parler à un adulte.-C’est notre responsable. Il nous représente, répond la foule dans un chœur parfait.
Chacun campant sur ses positions, ce fut un dialogue de sourds.Les esprits commencèrent à s’échauffer,et l’on s’attendait au pire.Il fallut l’arrivée de Si Mabrouk OUARTSI qui a réussi à convaincre les manifestants de se disperser et rentrer chez eux,en leur déclarant qu’ils avaient atteint leur objectif,maintenant que les autorités les ont entendus.En effet,les manifestants brandissaient des pancartes demandant entre autres,la libération des détenus politiques.Les couleurs nationales(vert,blanc,rouge)accompagnaient les pancartes.
Le lendemain,Achiary convoquait les responsables locaux des AML pour leur demander de se joindre aux français lors de la prochaine commémoration,et d’éviter de manifester seuls.C’est là une menace,à peine voilée en cas de récidive. Il avait tenu à leur dire,avant cette invite, qu’il serait judicieux d’aviser les autorités avant la tenue de toute manifestation afin qu’elle soit encadrée par les forces de police.
A l’issue de cette réunion,les responsables des PPA-AML découvraient que les français se doutaient de quelque chose et les surveillaient.
Or,ces militants étaient déjà chargés,par les responsables du PPA de Annaba,de préparer la manifestation du 8 Mai 1945.Ils leur avaient demandé de ne pas se séparer afin d’être,ce jour,tous réunis pour prouver au pouvoir colonial l’union et la disponibilité du peuple Algérien tout entier dans ses revendications nationalistes.
(Et pour ce qui est d’être nationaliste,Guelma l’était profondément.Du nationalisme,elle était le fief ;déjà dès 1939,année de l’interdiction du PPA et de son entrée dans la clandestinité,ses responsables entretenaient une « agitation » sans relâche à l’instar de la « bande à Herga » dont le promoteur et les compagnons furent arrêtés et emprisonnés durant les tous derniers jours de cette année là.
C’est ainsi que,pour une part,les Scouts Musulmans Algériens étaient considérés comme l’enseigne du nationalisme ;lors de leurs « revues de troupe » et défilés à travers les rues de la ville,ils en imposaient aux colons,par leur discipline et leur fraîcheur. Ceux-ci voyaient,à travers ces jeunes,la « future armée algérienne ».Les dirigeants des SMA étaient des valeurs sûres du PPA et ses militants de base.
On ne peut taire,d’autre part,le rôle important de l’équipe locale de football l’ESFMG dans l’éveil politique des masses ;en effet,les rencontres qui l’opposaient aux clubs à ossature coloniale étaient perçues comme des batailles mettant aux prises les Algériens aux Français.La passion,la ferveur des foules les soirs de victoire de l’ESFMG sur la JBAC,l’ASBône sont tout simplement indescriptibles.)
C’est dans cette atmosphère qu’allait être fêtée,la victoire,le 8 Mai 1945.
Et ce jour-là…
Ce jour-là donc le Mardi 8 Mai 1945, place Saint Augustin- actuelle place des Martyrs- un orchestre municipal donnait un concert et attirait une foule de spectateurs,parmi lesquels se remarquaient les gens venus en grand nombre des villages et villes voisins : c’était jour de marché.
« Avec quelques camarades,se souvient Abdallah YALLES,nous avons été chargés de prévenir les frères de quitter la place Saint Augustin et de monter au lieu dit « El-Karmat »,dans le but de préparer la manifestation ». Cet endroit tire son nom des quelques figuiers (Karmat) qui y sont plantés et dominent la ville.
-El-KARMAT – vers 16H30. Un cortège, fort de quelques dizaines de personnes, s’ébranle en déployant les couleurs des alliés (USA, URSS, France, G.B) et l’emblème national Algérien scandant des slogans aux cris de :
-Libérez les détenus politiques !
-Vive l’Algérie libre !
-Vive la démocratie !et en entonnant « MIN DJIBALINA » !
Suivant un itinéraire tracé à l’avance, le cortège descend la rue d’Announa, grossissant à mesure de son avancée, sous les you-yous stridents et pathétiques des femmes fusant des fenêtres surplombant la rue. La passion est à son comble. Le drapeau algérien est porté par Ali ABDA, avant centre de l’ESFMG. Toutefois, les débordements sont habilement évités par un service d’ordre chargé par les responsables du PPA de veiller ainsi au caractère pacifique qu’ils ont tenu à donner à la manifestation.
Le cortège arrive à l’angle de la rue Victor Bernesse (actuelle 8 Mai 1945) et du boulevard Sadi Carnot(actuel 1er Novembre) lorsqu’il se voit empêché de poursuivre sa marche par un barrage constitué des forces de police, de la gendarmerie et des milices européennes avec à leur tête le sous préfet Achiary.
Dérangé, voire agacé par les mots d’ordre de la manifestation, Achiary essaye de parlementer, mais les manifestants s’y opposent et veulent continuer leur marche vers le monument aux morts pour y déposer des gerbes de fleurs en l’honneur et à la mémoire des leurs.
Sous la pression des colons présents, Achiary tente alors d’arracher le drapeau algérien des mains d’Ali ABDA ; l’avant centre de l’ESFMG s’y oppose farouchement jusqu’au moment où il allait fléchir sous le poids du nombre ; il lance alors derrière lui l’emblème qui est aussitôt repris par des mains amies. Il s’en est suivi une bousculade pendant laquelle les coups de bâton des manifestants répondaient aux coups de crosse des soldats.
Ayant reçu des renforts, les forces armées colonialistes ont alors forcé le cortège à refluer vers l’ex E.G.A – actuel emplacement du secteur militaire -. Il s’y trouvait une muraille que les gendarmes escaladèrent et d’où ils se mirent à tirer aveuglement sur la foule. Les manifestants tombaient par dizaines, hachés par la mitraille.
« J’ai été touché à la cuisse par une balle explosive qui m’a arraché la moitié du fémur » nous dit Abdallah YALLES ; il s’est réveillé à l’hôpital mixte où il est resté 22 mois, pour en sortir infirme pour la vie. Le 8 Mai 1945, il était âgé exactement de 20 ans et 16 jours. Il n’était pas encore majeur.
Encore heureux qu’il n’ait pas connu le sort des principaux responsables du PPA local, assassinés sans sommation. Si Mabrouk et Ahmed OUARTSI, H’mida SERIDI, Ali ABDA ne sont que les premiers d’une très longue liste des victimes de la répression organisée au lendemain du 8 Mai…
Mais c’est déjà un autre chapitre…
-Oued -Cheham – le Mardi 8 Mai 1945 vers 18H00
La population venait d’apprendre, par le biais des militants de la cellule locale du P.P.A, les évènements qui ont secoué Guelma dans l’après-midi. Par petits groupes, les discussions menaient bon train et l’on restait dans l’expectative quant à la conduite à tenir. On en était là, quand l’écho d’un coup de feu répercuté par les ravins mit subitement fin aux palabres. Il provenait à coup sûr, des environs de Aïn-Embarka, petit hameau situé à quelques kilomètres à l’ouest de Oued-Cheham.
Ain-Emberka venait, en effet, de vivre un drame ; l’un de ses habitants, agriculteur de son état, a été tué d’un coup de fusil par le propriétaire de la ferme sise à la sortie du village. Ce colon « n’aimait pas les Arabes », tirant, au contraire, un sujet de « fierté ».
Ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres ; le temps qu’il fallait pour arriver à Aïn Mebarka, les militants du P.P.A à la tête d’un groupe de volontaires se rendirent à la ferme, y pénétrèrent par la force et surgirent armés de hache et de pioches au beau milieu de la demeure dont le maître, sous l’effet de surprise, n’a pu esquisser aucun mouvement de défense. Il fut abattu, payant ainsi le crime gratuit qu’il a commis.
Sa femme et ses deux filles furent épargnées et il ne leur fut fait aucun mal ; c’est une manière comme une autre de réfuter l’étiquette de sauvages sanguinaires que les colons ont collée de tout temps aux Algériens. Un mort pour un autre. Ce ne fut que justice. Le lendemain apportera une autre dimension de la civilisation française et ses bienfaits sur l’indigène.
PARTIE 2 : La Répression
GUELMA le 8 Mai vers 20H00
Après la manifestation qui s’est voulue pacifique et s’est finalement terminée en un bain de sang, les hommes se dépêchèrent de regagner leurs domiciles et soigner leurs blessures. Ils se devaient de rassurer leurs familles inquiétées par les coups de feu qui ont brusquement mis fin à la manifestation et aspiraient à une nuit réparatrice après une journée aussi « chargée ».
C’était sans compter sans la haine inouïe des colons. Ils venaient d’ouvrir «la chasse » et salivaient à l’avance à l’idée de la curée promise : du gibier humain…Sans défense.
MAIZI Mohammed, 32 ans et l’un des responsables locaux du PPA AML rentrait chez lui, harassé par les épreuves de la journée. Il était tard et il a dû rester assister à une réunion importante organisée à la hâte afin de tirer les conclusions de la manifestation. Il s’apprêtait à goûter un repos mérité afin de se retrouver dispo pour affronter, le lendemain, une journée qui promettait de connaître une nouvelle tournure et une ambiance particulière.
Il n’eût guère le temps de se déshabiller que des coups violents ébranlèrent la porte, suivis d’une forte voix lui intimant l’ordre d’ouvrir. Sa femme et ses enfants le virent ainsi saisi par des soldats qui le jetèrent dans un camion. C’était la dernière fois qu’ils le voyaient vivant. Il sera tué, quelques instants plus tard, avec d’autres compatriotes dans un endroit qui connaîtra, par la suite, une funeste renommée : KEF-EL-BOUMBA.
Dans un va-et-vient ininterrompu, des camions surchargés, encadrés par des gendarmes, des policiers et même des civils (Achiary avait armé les colons, créant ainsi une milice) charriaient des centaines d’êtres humains promis à un holocauste sans nom, aveugle. Ils déchargeaient cette « marchandise » à Kef-el-boumba et repartaient faire le plein de passagers en ville.
Alignées face à leurs bourreaux, les victimes s’écroulaient, fauchées par la mitraille. Les corps s’amoncelaient au fur et à mesure des rotations des camions de la mort.
On remit en marche le four à chaux d’Héliopolis, à l’occasion, et les forces colonialistes y jetaient des dizaines d’hommes à la fois, qu’elles aspergent d’essence avant d’y mettre feu.
Madame BELABIED se souvient encore de cette odeur nauséabonde de cadavres brûlés. Une odeur atroce qui la saisit à la gorge et la remplit d’horreur ; elle pénétrait jusqu’à l’intérieur de sa maison. Inoubliable.
« Ils sont venus prendre mes enfants à la maison, les ont jetés comme des paquets dans un camion déjà plein de jeunes comme eux. Malgré mon âge, j’ai couru en empruntant la traverse. J’ai vu mes deux enfants alignés comme les autres, les yeux braqués sur moi, quand la mitrailleuse les a fauchés », raconta, il y a 24 ans, Cheikha Medjoudj à l’occasion du 20ème anniversaire du 8 Mai 1945.
Il est vrai que les jeunes algériens, surtout les lettrés, furent les principales victimes de la sauvagerie des Achiary et consorts. Ils suivirent en cela les militants des AML qui furent les premiers martyrs de ce printemps sanglant.
MERCREDI 9 Mai 7H00
Un vent de folie soufflait sur la ville depuis l’aube ; les forces de police et de la gendarmerie auxquelles s’est jointe la milice composée des colons armés par les soins d’Achiary, tiraient sur tout ce qui était algérien. Les rues étaient jonchées de cadavres baignant dans des mares de sang. D’Aïn Larbi, Boumahra Ahmed, Belkheir, et Ben Smih revenaient les camions de l’armée avec leur cargaison de corps inanimés, sauvagement mutilés. Ils furent jetés sur les pavés de la Place Saint Augustin et exposés aux yeux de tous. Les robes maculées de sang des femmes se mêlaient aux burnous des hommes et aux pantalons rapiécés des enfants.
Le carnage dura toute la journée et se poursuivit tard dans la nuit. Des familles entières furent décimées. Au douar Chellaoua, sur les crêtes de la Mahouna, la famille MEDDOUR venait d’être amputée à jamais de 37 membres, horriblement décapités par les colons.
« Sur les routes, à travers les sentiers, dans les champs, dans les rivières et dans les ravins, ce n’était partout que cadavres entrouverts où s’engouffrait la gueule sanglante des chiens affamés : cadavres puants sous le croassement lugubre des charognes tournant en rond…Ca et là des villages entièrement rasés. Les éléments d’une « humanité primitive » fuyaient sous les balles meurtrières des « civilisés » affirma Andrien Tixier, dépêché dans la région par Chataigneau, gouverneur général d’Algérie.
Les fours à chaux d’Héliopolis activés par les sbires de Lavie, propriétaire terrien du village, n’en finissaient pas de cracher au ciel la fumée et les flammes brûlant des milliers de corps de victimes innocentes. On se croirait à Auschwitz, de sinistre mémoire.
On rapporta le corps criblé de balles de Fatima Zohra REGGUI, cette jeune femme qui a osé braver la soldatesque colonialiste ; il fut exposé, aux côtés de ceux de ses frères Abdelhafidh et Mohammed sur les hauteurs de la ville dans le but avoué de décourager d’éventuelles émules.
Un fonctionnaire envoyé par le gouverneur d’Algérie s’en retourna écoeuré : « Des hommes, des femmes, des enfants, avaient été exécutés sans jugement,en bloc » signala-t-il dans son rapport.
Achiary, dans sa folie meurtrière, et n’ayant sans doute pas épanché sa soif sanguinaire fit donner l’ordre à l’aviation : des villages furent bombardés impitoyablement et des milliers de morts dormaient ensevelis sous les décombres des maisons éventrées par les obus.
Des prisonniers allemands et italiens furent libérés et armés pour participer à la curée ; ils s’en donnèrent à cœur joie. Les tortures immondes et les viols devinrent monnaie courante. Décidément, les leçons des nazis fraîchement défaits, étaient bien retenues. FACI Nafissa eut les deux yeux crevés avant de se faire éventrer par les soudards de la garnison de la ville. La ville et les villages avoisinants baignaient dans une horreur indescriptible. On ne voyait point la fin de ce déluge de feu qui s’est abattu sur les habitants.
La région toute entière retentissait de cris et clameurs de détresse, entrecoupés par les crépitements des salves des mitraillettes. Elle n’en pouvait plus de compter ses morts.
Une nuit funèbre finit par envelopper la ville. Le carnage n’avait pas pour autant cessé. Ce n’était que partie remise. Le lendemain allait apporter son contingent de morts, qui viendront s’ajouter à ceux, innombrables, des journées précédentes…
MERCREDI 9 Mai 8H30
Oued Cheham grouillait de soldats et de gendarmes, venus par camions, de Souk Ahras et de Guelma ; ils réunirent les hommes, les firent monter dans les camions qui se dirigèrent alors vers Hammam N’Bails. Ils s’arrêtèrent à l’entrée de Aïn Embarka et quelques gendarmes et des soldats descendirent des camions et grimpèrent le talus menant aux premières maisons…Cherif SOUALMIA se rappelle : « la porte de ma maison vola soudain en éclats, sous le coup de bélier des crosses de fusils. Je me levai en hâte et au moment où, dans un geste machinal, je portai mes mains à ma ceinture, un coup de feu assourdit la maison et je sentis une brûlure au niveau de l’aine. J’y portai la main et la ramenai poisseuse de sang. La balle m’a enlevé une bonne partie de l’entrecuisse gauche. Je perdais abondamment du sang et je dus m’évanouir… » Il n’eut pas, ainsi, le temps de voir les soldats saccager les maisons, renversant meubles et jarres d’huile d’olive et piétinant les maigres provisions des habitants, brutalisant femmes et enfants avant de remonter dans les camions et repartir vers une destination connue d’eux seuls.
Accusé d’avoir pris part à l’assassinat du fermier, Ahmed AFAIFIA a été arrêté le 9 Mai 1945, jeté d’une prison à une autre, pour finir au pénitencier d’El Harrach d’où il sortit, libre, une fois sa peine purgée, le 9 Mai...1962.
JEUDI 10 Mai. Dans la matinée.
La ville semblait connaître un moment de répit en début de matinée ; désertée par la population musulmane, la rue ne vivait que par les déambulements des policiers et gendarmes surarmés, et des colons harnachés de cartouchières pleines et de fusils pour la circonstance que l’on sait. Cela sentait le calme trompeur ; effectivement, les colons, pleins d’arrogance et qui ne finissaient pas de parader, prirent place dans les « camions de l’effroi » et quittèrent la ville pour une énième expédition punitive, une nouvelle battue.
Ils rentreront au début de l’après-midi, hilares et racontant sans retenue, le détail de leur tableau de chasse. Ils revenaient de Bouati Mahmoud, El-Fedjoudj, Guelaat-Bou-Sbâa où ils venaient de semer une nouvelle fois la mort. Des centaines de morts s’ajoutèrent ce jour aux milliers des journées écoulées, perpétuant le cycle infernal engagé, le mardi précédent.
Quelques tirs sporadiques s’entendaient encore ça et là, mais la grande tempête s’était sensiblement apaisée.
La crise de folie criminelle qui s’est emparée des européens prenait fin ; ils se réveillèrent dans une ville-charnier, une ville martyre, qui venaient de vivre des journées sanglantes. Ils étaient fiers de leurs faits d’armes.
Ce génocide en règle a coûté pour ces trois seules journées, près de 12000 morts à Guelma. C’est le bilan le plus lourd de l’ « insurrection ».
Le principal maître d’œuvre de cette boucherie, le sous préfet Achiary, est présenté comme un véritable héros des évènements de Mai par la journalistes. Curieusement, ils ont omis de parler des milliers de cadavres de musulmans qui lui avaient valu ce titre.
Les Echos de Guelma, s’est fait l’interprète des adorateurs d’Achiary et dans son édition du Samedi 9 Juin 1945, donne un aperçu du cynisme et de l’absence de pudeur des colons (il en était le porte parole) dans un article intitulé « Adresse de Sympathie » et que nous reproduisons dans son intégralité, pour permettre au lecteur d’en juger la saveur.
« Une délégation de la population de Guelma, ayant à sa tête M.Maubert, maire de la ville, s’est rendue le 29 Mai à la sous préfecture pour remettre à M. le sous préfet Achiary, une adresse de sympathie signée par 850 chefs de famille de Guelma et de sa région.
M. Maubert a remis ce document à M. le sous préfet et, en termes empreints d’émotion, lui a exprimé la reconnaissance inaltérable de ses administrés pour sa magnifique attitude pendant les journées d’émeute ainsi que leur attachement à sa personne.
Le télégramme ci-dessous portant mention de cette adresse de sympathie a été d’autre part adressé au Général De Gaulle.
« Général De Gaulle, chef du gouvernement Français. PARIS.
La population européenne de Guelma et sa région a l’honneur de transmettre copie à Monsieur le Général De Gaulle,chef du gouvernement Français, de l’adresse de sympathie et reconnaissance remise à ce jour à Monsieur Achiary, Sous Préfet de Guelma par Mr Maubert, maire de la ville, accompagné d’une délégation. Stop.
« La population européenne de Guelma et sa région, colons, commerçants, ouvriers, artisans, fonctionnaires, retraités, hommes, femmes, enfants de toutes conditions et de toutes classes sociales, originaires d’Algérie et de la Métropole, sans distinction de religion, adresse à son cher Sous-Préfet Achiary l’hommage le plus profond de reconnaissance émue pour le sang froid et l’énergie dont il a fait preuve devant le flot dévastateur qui déferlait sur Guelma le 8 Mai 1945. Stop.
Semblable à un grand capitaine de navire, debout sur sa passerelle dans la tempête, son implacable énergie à son poste de commandement devant les hordes de milliers de pillards et d’assassins précédés de centaines de cavaliers, brisa le rêve sanguinaire de sinistres ambitieux à qui la France a tout donné. Stop.
« La population entière de Guelma qui allait être laminée par des éléments de l’intérieur appuyés à l’extérieur, n’oubliera jamais les jours et les nuits atroces qu’elle a vécus, avant l’arrivée des secours. Stop.
« Consciente de la reconnaissance immense qu’elle doit à son cher Sous Préfet chiary, elle lui adresse l’assurance de son indéfectible attachement et – d’un seul élan- le prie de rester à son poste le plus longtemps possible pour ramener l’espérance dans tous les cœurs. Stop- Guelma, le 19 Mai 1945- Stop ».
« Suivent huit cent cinquante signatures de chefs de famille- Stop »
« La population européenne de Guelma et sa région, fait confiance au sauveur de la Patrie pour mesures énergiques qui s’imposent et l’assure de son profond attachement. Stop ».
Une manière subtile d’inverser les rôles en habillant du manteau du sauveur l’immonde personne du bourreau. Les victimes deviennent bourreaux, par la magie du verbe et vice versa.
Mais la réalité fut toute autre et les milliers de cadavres disséminés à travers la région de Guelma étaient ceux des « basanés ».
Lors de la répression qui a suivi les manifestations du 8 Mai, des saisies d’archives avaient été opérées dans les locaux des AML, après les perquisitions effectuées par la police et la gendarmerie, « en exécution des instructions du ministre Plénipotentiaire, gouverneur général de l’Algérie. »,comme l’a indiqué le Préfet de Constantine dans une circulaire adressée aux sous préfets du département. Il ne cesse pas de souligner l’importance des documents saisis.
L’importance donnée à la transcription des listes des adhérents AML sera justifiée par l’usage qu’en firent les autorités colonialistes. Ces listes furent utilisées pour organiser la répression ; en effet, plusieurs milliers de responsables et de militants AML avaient été recensés dans Guelma et sa région : Clauzel (Ain Hassania), Millesimo (Belkheir), Héliopolis, Galieni (Bouati Mahmoud), Guelaat-Bou-Sbâa, Petit (Boumahra Ahmed), Beni Mezline, Ouled Harid, Kellerman (El Fedjoudj) et Taya Slib principalement.
C’est là une preuve de plus, s’il en faut, que la répression était organisée à l’avance par Achiary et ses hommes. La cible était toute désignée : les militants nationalistes du PPA-AML. Les manifestations du 8 Mai 1945 furent l’occasion inespérée de mettre leur dessein en exécution. Ils ne la ratèrent pas…
HELIOPOLIS- 8 MAI 1945 et journées suivantes
Le village est désert depuis le début de l’après midi du 8 Mai 1945. La milice formée par les colons maltais est seule à déambuler dans les rues. Armés, les colons veillent sur leurs propriétés et malheur à l’algérien qui se mettrait dans la ligne de mire de leurs fusils.
« Leurs familles s’étaient cachées dans le moulin de Lavie, propriétaire terrien du village » se souvient Abdelkader KSOURI dit Ali. « Le village était coupé du reste du pays et les colons avaient installés des herses aux deux issues principales, menant vers Guelma et Annaba ; cette situation a duré 18 jours après le 8 Mai 1945 », enchaîne-t-il.
Abdelkader KSOURI était âgé de 31 ans en Mai 1945. Le matin du 8 Mai, en compagnie de BOUSSENA Mohammed et son frère, ils s’étaient décidés à tenter une action contre les colons maltais. Pour ce faire, Abdelkader s’était armé d’un revolver à barillet. Ils firent un détour par Hammam-Bradai et se baignèrent dans la piscine romaine ; à l’entrée du village, ils furent arrêtés par le milicien de garde qui les obligea à dévoiler leur identité. Ramenés à la ferme,ils ne durent leur salut qu’à la présence d’anciens employeurs qui les reconnurent.
Durant l’interrogatoire en règle qu’ils subirent, Abdelkader avait enlevé sa veste et la portait sur son épaule droite, dans le but de cacher son arme des yeux des colons. Sommés de s’expliquer sur leur présence aux abords du village, les trois compagnons répondirent qu’ils venaient se ravitailler.
A propos de ravitaillement, M. KSOURI a tenu à résumer la situation alimentaire de la population algérienne, durant ces années : « la société algérienne vivait dans une misère atroce ; les denrées alimentaires étaient sujettes au rationnement et étaient distribuées avec une extrême parcimonie. A cela, notre peuple suppléait en recourant à toutes les sortes d’herbes qui étaient prépondérantes dans le menu quotidien ». Il ajoute « jusqu’aux prisonniers italiens qui, tellement affamés, fabriquaient des bagues qu’ils échangeaient contre un quart de galette. La tenancière du magasin où étaient entreposées les denrées alimentaires, fournissait elle-même les cartes de rationnement, généralement chaque début de semaine, suivant les arrivées du ravitaillement.
Reprenant son récit,il se rappelle que lui et ses compagnons furent relâchés après s’être vus recommander de ne pas quitter leurs maisons. Ils partirent avec un intervalle d’au moins vingt mètres entre chacun d’eux. Des exécutions sommaires, M. Ksouri se souvient qu’elles ont débuté dès le début de la soirée du 8 Mai. « Les camions de l’armée ramenaient des algériens au lieu dit Kef-el-Boumba, puis les alignaient, par cinquante, sur un monticule surplombant un large fossé. Ils les fauchaient alors à la mitrailleuse et les cadavres tombaient dans le fossé auquel ils tournaient le dos ».
« Ils étaient ensuite jetés dans une fosse commune creusée à quelques dizaines de mètres du fossé et qui pouvait contenir jusqu’à deux cent corps ; ils les recouvraient de terre jetée à la hâte ».
Quelques jours après, les colons déterrèrent les corps des victimes et les emmenèrent au four à chaux installé dans la propriété de Lavie pour les y brûler après les avoir aspergés d’essence au préalable.
« Je travaillais aux champs, à quelques dizaines de mètres du four à chaux ; une odeur épouvantable envahissait les environs et persistait plusieurs jours indique M.Ksouri, « Après l’holocauste, Lavie avait vidé le four de ses cendres, et les a utilisées d’une macabre manière : il s’en est servi d’engrais qu’il a répandu dans l’orangeraie et les carrés de pomme de terre ».
A dater du 9 Mai, les colons opéraient des rafles de nuit ; ils s’introduisaient dans les maisons des Algériens, en faisaient sortir les hommes qu’ils emmenaient à Kef-el-Boumba où ils les abattaient de sang froid. Pour éviter d’être pris par les miliciens, les habitants d’Héliopolis fuyaient leur domicile et passaient les nuits en pleine campagne. Ces exécutions sommaires durèrent 18 jours.
« Ne se contentant pas de tuer les hommes sur place, les colons les traquaient même en dehors du village.
Ainsi, Boucherit Ali, dont le magasin servait de bureau à la section locale des AML, fut rattrapé à l’entrée de Guelma et abattu en compagnie du fils d’Ali Negro et d’un autre citoyen dont j’ai oublié le nom » renchérit M.Ksouri.
Les colons, pour leur part, dormaient à Guelma de crainte d’être tués par les insurgés. Ils prenaient la précaution de signaler leurs habitations aux avions, en plantant le drapeau français au faîte de leurs maisons.
Malgré les supplications du père Lavie (Marcel ), son fils Louis n’a pas cessé de participer aux battues organisées par les maltais pour la chasse aux Arabes.
« Son père n’a jamais manqué de le ramener à de meilleurs sentiments, en arguant que « les indigènes sont avant tout notre troupeau, sans qui nous n’aurions rien possédé » précise Abdelkader.
Lavie employait la presque totalité des citoyens d’Héliopolis. Il les faisait travailler en famille pour une répartition des tâches assez singulière : Le chef de famille travaillait aux champs, sa femme s’occupait de la traite des vaches à l’écurie, son fils faisait paître le troupeau et sa fille était employée comme servante et s’occupait des travaux ménagers et d’une tâche spéciale qui consiste à cirer les chaussures du « maître », laver ses pieds et ses chaussettes.
Tous ces travaux pour un salaire mensuel unique qui ne dépasse guère 200 francs anciens pour toute la famille.
Partie 3 : L’après 8 Mai
Au lendemain des journées sanglantes des 8,9 et 10 Mai 1945, il est aisé d’affirmer sans risque d’être contredit, que les réactions des deux communautés à ces évènements furent opposées et distinctes ; et pour cause… Seulement, et malgré toutes les différences qui les séparent et le fossé qui s’est justement agrandi après ces journées, les deux camps ont été unanimes à s’accorder sur un point qui sera vital à l’histoire contemporaine des deux pays, puisque il marquera un nouveau départ dans leurs relations et un tournant radical pour leur avenir commun :
APRES LE 8 MAI, PLUS RIEN NE SERA DESORMAIS COMME AVANT !
Tout un siècle d’habitudes ancrées et institutionnalisées basées sur la différence de race, d’origine et de religion, sur la supériorité établie dans les mœurs, de l’européen sur l’indigène, le servage, la spoliation et l’accaparement impuni (décidé) des richesses des uns par les autres, tout cela fut balayé par ces journées historiques. Elles ont ébranlé jusqu’au tréfonds de ses fondations, l’édifice étatique et politique de la France. C’est là l’un des plus importants impacts de ces journées sur le cours de l’histoire.
Sur le terrain même, ce changement est perceptible dans les nouvelles attitudes des populations ; ainsi, et pour la première fois, les colons connurent la peur ; celle de l’indigène : bien après ces évènements, nombreux furent ceux qui, parmi eux, refusèrent de regagner leurs fermes et villages, pour les abandonner par la suite. Abordant leur situation « les Echos de Guelma », dans son édition du Samedi 9 Juin 1945, propose que « pour qu’ils aient cette impression de sécurité sans laquelle, du reste, il n’est point de travail régulier, de labeur vraiment productif, il est désirable que, pendant le temps nécessaire au désarmement des esprits, des troupes séjournent dans ces villages et que de petites colonnes continuent à parcourir la région insurgée ».
Cette proposition n’a pas dû être prise en considération par les autorités, puisque la situation des colons est restée inchangée, longtemps après le 8 Mai, comme le constate Achiary lui-même dans ce rapport en date du 19 Septembre 1946, relatif au plan d’action communal instauré par les réformes et concernant l’organisation administrative de la commune de Petit (Boumahra Ahmed) :
--La commune de Petit compte parmi les communes de moindre importance de l’arrondissement.
Lors de sa création, en 1892, elle comprenait une population européenne de 151 habitants et une population musulmane de 2982 habitants. A ce jour, la population européenne est tombée à 120. Par contre, la population musulmane est passée à 4983.
Les motifs de cet exode chez les européens ?
Concessions insuffisantes, ne permettant pas aux bénéficiaires d’accroître leurs possibilités d’extension, climat malsain, et enfin, tout récemment les suites des évènements de Mai 1945. Ceci n’est pas spécial à cette commune. Des européens, propriétaires d’exploitation agricole ont renoncé à cultiver eux-mêmes et ont préféré laisser leur domaine en gérance pour habiter la ville. La mauvaise impression se dissipera t-elle ? La confiance reviendra t-elle ? Il est difficile actuellement de répondre à ces deux questions.
Par ailleurs, les colons, par le biais de leurs journaux, s’en prirent violemment aux pouvoirs publics leur reprochant de n’avoir pas écouté les avertissements des services de sécurité qui auraient prévenu et évité ces émeutes et leurs victimes. Abondant dans ce sens, « L’Echo de Bougie » du 25 Mai 1945 déclare que « Les avis sur les évènements qui se préparaient n’ont pas été ménagés à la Haute Administration. Celle-ci n’a jamais cru à leur imminence et n’a pris que des mesures insuffisantes pour prévenir le drame qu’il a fallu réprimer sévèrement alors qu’il eût mieux fallu le prévenir». Il responsabilise les pouvoirs publics et fustige leur conduite passée en affirmant que « Le Service de la Sûreté en Algérie, des Administrateurs, des maires, des fonctionnaires de différents services, n’ont-ils pas alerté, en temps voulu, les Pouvoirs Publics ? N’ont-ils pas été considérés comme des alarmistes au moment où mitraillettes et munitions de guerre affluaient dans nos montagnes, où des criminels, même européens, parcouraient librement les marchés du Bled, en y préparant, au grand jour, le mouvement insurrectionnel ?
« Cette carence de l’Autorité aura sa lourde part de responsabilités dans l’histoire des évènements tragiques qui ont endeuillé nos familles ».
A propos de familles endeuillées, les journaux se sont faits l’écho de la douleur de celles des colons et européens touchées par les émeutes, en insérant faire-part et condoléances, agrandissant démesurément la réalité, en ce sens que les morts se comptaient aisément sur les doigts de quatre mains, et en occultaient délibérément les milliers d’Algériens victimes de la répression : Si ces journaux y font vaguement allusion, ils n’ont jamais évalué leur nombre.
Ce faisant, il s’agissait peut être d’une reconnaissance tacite, même si elle n’est pas avouée, du calcul cynique et morbide qui veut que « Un européen de souche compte pour six cent Algériens ». C’est le taux exprimé par le nombre de morts des deux côtés : une vingtaine d’Européens pour douze mille Algériens. C’est là un aperçu de la côte de l’Algérien à la bourse des valeurs de la France démocratique, berceau de la civilisation et chantre de l’humanisme.
Pour ne pas sortir du cadre rigide de la « France bienfaitrice » et qui ne peut donc, ni causer du tort à autrui- travaillant inlassablement au bien des sociétés primitives- ni en avoir, les journaux des colons s’acharnèrent, à grand renfort d’insertion de messages de sympathie, de loyalisme, de soutien de dignitaires et de notables musulmans, à défendre le prestige de la France, en faisant porter la responsabilité des massacres à des « brebis égarées », des inconscients menés par d’imaginaires instigateurs de complots non moins fictifs, en un mot, aux seuls musulmans.
Parce qu’elle répond aux vœux des « Echos de Guelma », ce journal a publié, dans son édition du 9 Juin 1945, une lettre de « Notables Musulmans » adressée au préfet de Constantine, le 22 Mai 1945. En effet, le fait que les musulmans soient tenus responsables des évènements – même s’ils n’ont fait que suivre des inconscients – entre en droite ligne dans la politique prônée et défendue par les « penseurs » du journal.
La préfecture nous communique :
M. Le Préfet de Constantine a reçu une délégation de notables Musulmans qui lui a remis la lettre ci-après produite. Il en approuve les termes et l’esprit (sic). Il partage les mêmes espoirs.
Constantine le 22 Mai 1945. Monsieur le Préfet,
« Obéissant à nos cœurs et conscients de la gravité de l’heure, nous prenons la liberté de vous exposer respectueusement ces quelques idées avec l’espoir qu’elles ramèneront la paix dans les cœurs et l’ordre dans les esprits. Nous n’avons pas à revenir sur le passé, nous nous abstenons de toute récrimination et nous nous interdisons toute critique. En tant que Musulmans, nous ne pouvons que mettre sur le compte de la volonté de Dieu les douloureux évènements qui viennent de se dérouler dans notre cher département.
Les Musulmans les déplorent sincèrement et auraient consenti les plus grands sacrifices pour qu’ils ne se fussent pas produits. Aujourd’hui, ils en redoutent les effets, craignent pour l’harmonie nécessaire à la vie de leur pays et voudraient éviter une situation où les portes seraient ouvertes à la vengeance, aux représailles et à un ressentiment latent d’où pourraient sortir toutes espèces de difficultés. Ils regrettent d’autant plus qu’ils sont convaincus que la grande majorité de leurs coreligionnaires sont de cœur avec la France à qui ils n’ont d’ailleurs rien refusé au moment où le destin s’est injustement acharné sur elle.
Leur situation est douloureuse, car au lieu de récolter les fruits escomptés, la fatalité semble vouloir les éloigner de leur incorporation à la nation française. Faudrait-il laisser faire cette terrible fatalité ? Non, évidemment et ils entendent réagir de toutes leurs forces pour que les liens qui les unissent à la France demeurent solides et définitifs. Pour cela, ils comprennent parfaitement que les coupables doivent être châtiés sévèrement, mais ils demandent grâce pour les innocents et souhaitent que de bonnes relations persistent entre les français et les Indigènes.
Actuellement un déséquilibre s’est produit. Les français semblent devoir montrer un certain ressentiment par rapport à leur propos, leurs regards, leurs colloques, leurs critiques sévères où l’exagération et le bobard tiennent la plus grande place. Nous comprenons parfaitement leur émotion du début et nous excusons certains de leurs actes instinctifs. Mais nous craignons que ces émotions, légitimes à leur heure, soient érigées en système et que quelques esprits vulgaires ou quelques individus sous l’empire d’intérêts sordides profitent de l’occasion pour vouloir recourir à la mentalité d’autrefois et aux procédés que la conscience moderne n’accepte pas.
Nous avons cru devoir, M. Le Préfet, vous faire connaître nos appréhensions tout en espérant que le français d’Algérie demeurera français, c'est-à-dire qu’il continuera à être bon, généreux, positif et conscient des intérêts supérieurs de la France dans notre pays.
Nous ne concevons pas les français autrement que dans leur cadre traditionnel, nous ne les voyons pas en dehors de leur vieil idéalisme, de leur humanisme légendaire. A cause de cela, ils sauront pardonner une aberration d’un moment ; ils donneront aux derniers évènements leur sens véritable d’incidents sociaux que les gens les plus clairvoyants ne pouvaient prévenir. Ils les marqueront de leur regret mais continueront le rôle qu’ils se sont assignés de dispenser leur civilisation aux Musulmans qu’ils ont pris sur leur tutelle tout en soignant leur
Dites, Monsieur le Préfet, à nos frères français d’Algérie que nous les adjurons de rester eux-mêmes, de s’élever au dessus des misères humaines et de conserver leur confiance aux Musulmans d’Algérie qui ne demandent qu’à continuer avec eux la collaboration loyale et effectivement qui fera de la France une puissance grande et forte. Nous leur tendons fraternellement la main et nous les convions à une action commune qui ramènera la paix et la confiance dans notre pays.
Vous avez été, Monsieur le Préfet, à la hauteur des derniers évènements, vous avez déployé, pour ramener la sécurité, des prodiges de courage, de compréhension et d’activité bienfaisante ; continuez votre beau rôle pour ramener la paix dans les cœurs et la confiance dans les relations de deux peuples que Dieu a voulu unir pour l’éternité.
Daignez agréer, monsieur le préfet, nos sentiments les plus respectueux et les plus dévoués. »
Pour les Algériens, le 8 Mai 1945 revêt une signification historique, au sens où pour la première fois après une longue accalmie, ils ne se sont pas contentés de subir les évènements, mais ont pris les devants en organisant eux-mêmes la manifestation. La réaction abasourdie des colons est justement la conséquence de la soudaine métamorphose de « l’indigène », mue à laquelle ils ne s’attendaient pas ; pire, elle était impensable dans leur esprit.
Pourtant, ils avaient remarqué un notable changement dans le comportement des Algériens, bien avant le 8 Mai ; ils le situent juste après la date historique du 10 février 1943, journée de la naissance du Manifeste du Peuple Algérien. Ainsi, dans une lettre adressée au Préfet de Constantine, en date du 23 Avril 1943, sept conseillers généraux du département (dont Lavie, gros propriétaire terrien à Héliopolis, pour Guelma) font part de « l’émotion qui ne cesse de grandir dans les campagnes algériennes depuis un an, chez les colons d’origine française.
« Depuis longtemps, ils voient monter autour d’eux des manifestations d’inimité qui paraissent concertées et obéir à des mots d’ordre venant de loin. »
« Brusquement, l’inimité a fait place à une hostilité qui prend figure de haine collective. Les passions sont déchaînées dans des milieux qui étaient calmes jusqu’à ce jour. Elles se traduisent, d’un bout à l’autre du territoire, par des incorrections de langage, des provocations et des injures, parfois des menaces qui n’épargnent ni les femmes ni les enfants français de naissance.
« Partout des hommes, hier inoffensifs, heureux de collaborer avec les colons, les fonctionnaires, les commerçants, sont devenus arrogants et annoncent leur volonté de rester seuls sur la terre algérienne et proclamer l’indépendance totale qui a fait en Février 1943, l’objet des manifestes des élus musulmans à Alger, au mépris des droits de la France. »
«Les indigènes qui nous étaient acquis sans réserve ont, eux-mêmes, changé d’attitude. Ils n’osent plus affirmer, leurs sympathies, dans la crainte d’être sacrifiés ou rejetés par leurs coreligionnaires. »
« Partout l’insécurité grandit. On signale des atteintes à la propriété, de bris de conduites d’eau alimentant les villages, de menaces non déguisées contre la vie des Français isolés. Les rues des villes, malgré les interdictions officielles de former des cortèges, sont parcourues par des manifestants criant ouvertement que l’Algérie appartient aux Arabes. »
Les Algériens ont donc été à l’origine de ces évènements ; le contexte de la guerre mondiale y fut pour quelque chose en ce sens que, de la France grande puissance cultivant une légende d’invincibilité tel qu’affronter ce pays était considéré tout simplement comme acte de folie, les Algériens en ont découvert, à la faveur de la 2ème guerre mondiale, une autre dimension inattendue pour eux : la France est vulnérable et a ses faiblesses. Ils ont vu son territoire occupé par plus fort qu’elle : l’Allemagne, qui a occupé jusqu’à ses colonies d’outre-mer, le maghreb en particulier. A plus fort qu’elle, la France a demandé aide et assistance (n’ont-ils pas assisté au débarquement des alliés en Algérie et côtoyé les américains ?).
De retour au pays, après avoir participé aux combats sur tous les fronts, les Algériens démobilisés racontèrent les batailles, parlèrent de français collaborant avec les nazis et du rôle décisif des Alliés quant à l’issue de la guerre.
Les Algériens se mirent à aduler Staline (Bouchelaghem) et, pour marquer leur mépris aux colons, taillaient leur moustache à la manière de Hitler.
La deuxième guerre mondiale a ainsi marqué la fin d’un mythe. La France n’était plus qu’un géant aux pieds d’argile.
Le mouvement nationaliste prenait de l’ampleur et le P.P.A gagnaient de nouveaux militants. Dans son sillage, le peuple Algérien revendiquait sa personnalité et son égalité avec les français d’Algérie, dans un premier temps, puis sa liberté et la mort du colonialisme par la suite. On commençait à parler, des deux côtés, de Révolution.
Des noyaux d’insurrection étaient signalés un peu partout dans la région de Guelma ; des Algériens armés, s’attaquaient aux colons, puis « prenaient » le maquis. Les grottes des Djebel Taya, Houara, Mahouna les accueillirent et devinrent leurs refuges inexpugnables. Peu à peu, ils se formèrent en bandes et terrorisèrent les colons et les forces de l’ordre. Ils opéraient de nuit et regagnaient leurs caches qui demeurèrent introuvables aux gendarmes. Ils firent de ces montagnes des lieux mythiques qui narguaient la puissance armée française.
Le 1er Novembre 1954 les y trouva prêts et bien préparés à marquer de fort belle manière, l’aube naissante de la Révolution Armée. Ils furent les premiers djounoud de la prestigieuse Armée de Libération Nationale. Ils illustrèrent la courroie de transmission entre deux dates historiques, marquant indélébilement l’Histoire de l’Algérie. Dans ce cycle ininterrompu, le 1er Novembre 1954 prit le relais du 8 Mai 1945 et en assura la continuité jusqu’au 5 juillet 1962, date de l’indépendance.
Ce qui infirme les dires des Français qui voyaient dans les évènements du 8 Mai 1945, une simple émeute limitée dans le temps et l’espace ; ils s’apercevront, un peu tard, que ces journées sonnaient le glas d’un ordre établi depuis plus d’un siècle, assis sur la base d’un colonialisme à outrance.
Partie 4 : Le Lien, de Kef El Boumba à Djebel Mermoura
Des causes des manifestations du 8 Mai 1945, il faut écarter la thèse, prônée par les colonialistes, de la révolte de la faim car, malgré la disette et quelquefois la famine qui ont longtemps sévi dans la campagne et les villes, le peuple Algérien ne s’est pas soulevé pour demander du pain, mais la liberté, la dignité et l’indépendance. Ce sont les principales revendications des masses, comme l’a si bien exprimé le Manifeste du Peuple Algérien. Elles furent le maître mot de l’action du P.P.A et amenèrent, de ce fait, l’adhésion totale du peuple aux objectifs du parti ; les fameuses manifestations en furent la meilleure expression.
En Guelma, fief du nationalisme par excellence, le P.P.A trouva le terrain fertile et propice à sa propagande et son idéologie ; il en usa à satiété. Tous les canaux furent investis et mis à profit pour essaimer la foi et le concept nationaliste au sein du peuple. Cet objectif fut atteint au-delà des espérances : entre 1939 et 1943, tout Guelma était P.P.A, militants, adhérents et sympathisants confondus.
C’est dans se cadre que se situe le rôle prépondérant joué par l’ESFMG, l’équipe de football locale.
Véritable école de nationalisme, l’ESFMG concourant grandement à exacerber cet idéal dans l’esprit et le cœur des foules et les préparait à l’appel de la Révolution.
Elle fut décimée en Mai 1945, perdant ses meilleurs éléments durant les sanglantes journées, mais tel le sphinx, renaquit de ses cendres et réussit à remporter le championnat d’Afrique du Nord en 1955 ; c’est le premier club algérien à être sacré sur la scène continentale.
SOUDANI Boudjemaâ succéda à Ali ABDA à la pointe de l’attaque ; c’est dans cet ordre qu’ils tombèrent au champ d’honneur ; le FLN fut le successeur du P.P.A et le 1er Novembre 1954 celui du 8 mai 1945, dans le temps et l’Histoire. Ils n’ont jamais été isolés l’un de l’autre, mais se complètent en se suivant.
Dans les sinistres prisons colonialistes, ceux qui furent incarcérés à la suite des évènements de Mai 1945 furent rejoints par les condamnés de 1954, 1955, etc… Les condamnés à mort furent exécutés sans différence de date de détention puisque l’accusation était la même : atteinte à la sûreté de l’Etat.
Ceux qui survécurent furent libérés en 1962. Ensemble !
Le 28 Mai 1958, le Djebel Marmoura a vécu une bataille mémorable ; un bataillon de l’A.L.N a été accroché par une importante unité de l’armée française, soutenue par l’artillerie et l’aviation. Le colonel Jeanpierre y fut tué après que son hélicoptère ait été abattu. Il y eu des pertes de part et d’autre, mais le fameux 1er REP fut entièrement décimé et des djounoud comme le regretté Tahar DAHMOUNE, tombèrent au champ d’honneur en luttant pour la liberté, la dignité, et l’indépendance de l’Algérie. Comme ceux de Mai 1945.
Des stèles qui commémorent ces évènements historiques ont été érigées aux endroits mêmes où l’un a eu lieu, et l’autre a pris le départ.
Elles sont aussi le fruit d’une seule et même initiative !
QUELQUES NOMS PARMI LES DOUZE MILLE VICTIMES DE GUELMA
ABDA Ali, ABDA Smail, ABDA Amor, ABDAOUI Md Cherif, ABDAOUI Ali, AGGOUN Mohamed, ALOUACHE Rabah, AMARA Belgacem, AMIROUCHE Mebarek, AMROUCHI Kamel, AMROUCHI Ahmed, AMRANI Salah, AMIRI Ahmed, ARBAOUI Ramdane, ARBAOUI Mansour, AYADI Mohamed, BOUTESFIRA Aissa, BOUMAZA Tahar, BOUMAZA Labidi, BOUMAZA Bachir, BOUMAZA Md Ben Said, BOUMAZA Ahmed, BOUMAZA Khoudir, BOUMAZA Md Ben Sadek, BOUMAZA Khoudir Ben Larbi, BELLOUS Ahmed, BELAID M Salah, BERREDJEM Abdellah, BELAMINE Mohamed, BOUCHEMEL Larbi, BELAZOUG Smail, BENCHAI Abderrahmane, BRAHAM Mohamed, BOUCHAIR Salah, BENBERKANE Hocine, BENBARKANE Amar, BENCHIKHA M.D Said, BENCHIKHA Hacene, BENSOUILAH Abdelkrim, BENYAKHLEF Amor, BENBIDDOUCHE Said, BOUKHTEM Youssef, BOUDJAHEM Ahmed, BENSAADA Youssef, BOUCHAIR Mohamed, BARKACHE Messaoud, BOUCHEMEL Mohamed, BENRREDJEM Ahmed, BENRREDJEM Tayeb, BENRREDJEM Salah, BENRREDJEM
Ahmed Ben Abdellah, BABBOURI Said, BOUGHALIT Amar, BENHAKHECHA Brahim, BENAMMARI Hocine, BOUGHBA Ali, BOULOUH Mohamed, BELAID Abdellah, BADJI Mahmoud, BADJI Hachemi, BADJI Khoudir, BADJI Ahmed, BENASSOU Mohamed, BAADACHE Mohamed, BADJI Tahar, BOUDJAHEM Said, BENSAADA Bachir, BENOTHMANE Mohamed, BENOTHMANE Labidi, CHIOUA Brahim, CHAIBI Abdelhamid, CHAIBI Rabah, CHORFI Amar, CHORFI Messaoud, CHORFI Salah, CHEHIDA Ahmed, CHEMAMI Ahmed, CHERGUI Fatma, CHIBOUNI Belgacem, CHOUINI Messaoud, CHERIET Mohamed, DOUAOURIA Mohamed, DOUAOURIA Ali, DJERBOUH Hamoucha, DJERBOUH Rabah, DJERBOUH Abdelhamid, DAFRI Amar, DJAOUCHI Bourenane, DJAOUCHI Said, DJEBABLA Amar, DJEBABLA Ahmed Ben Mebarek, DJEBABLA Mebarek, DJEBABLA Ahmed ben Salah, DJAADJOUA Omar, DJEBBAR Md Larbi, DJEBBAR Abderrahmane, DAFRI Lakhdar, EL BAKRI Ali, FACI Belgacem, FACI Nafissa, FRAH Keslani, GRIMIDA Md Salah, GUERGAH Mohamed, HAMDAOUI Laabed, HAMEG Arab, HADJ MAOUI Abdelkader, HASSANI Ali, HASSANI Md Sallah, HAZAM Abdellah, HABBACHE Sebti, HEMISSI Mohamed, HARRATE Allaoua, HACHEMI Saad, HAZAM Said, IDIR Amor, KHELASSI Mohamed, KATEB Hacene, KATEB Brahim, KERAICHIA Ali, LAIDI Rachid, LABRECHE Belgacem, LERBAI M’Hamed, MIRAD Brahim, MEDJELKH Md Salah, MEBARKI Mohamed, MAAFA Salah, MEDJOUB Mohamed, MEDJALDI Ali, MEKHENCHA Farhat, MADI Brahim, MERZOUGUI Makhlouf, MAIZI Md dit Tobal, MEDDOUR Touhami, MAGHZI Mohamed, OUMERZOUG Md Ameziane, OUMERZOUG Hadj Salah, OUARTSI ABDELHAMID dit Mabrouk, OUARTSI Ahmed, OUARDJI Layachi, OBEIZI Salah, RIGGUINI Larbi, REGUI Mahamed, REGUI Abdelhafid, REGUI Zohra, RAHEMME Adjroud, RAZKALLAH Sadek, RAHAB Bachir, REGUIG Salah, ROUABHIA Amar, ROUABHIA Hamana, ROUABHIA Hocine, ROUABHIA Hacene, ROUABHIA Amar Ben Tayeb, SAIDI Abderrahmane, SNP Abdelkader, SELAIMIA Tayeb, SERIDI Touhami ben Madani, SERIDI Mohamed ben Touhami, SERIDI Md dit Larbi, SERIDI Ahmed, SERIDI Abdallah, SERIDI Ahmed ben said, SERIDI Lchemi ben Madani, SERIDI Ahmed dit si Hamida, SERIDI Lhachemi ben Said, SERIDI Mohamed ben Salah, SOUDANI Md Salah, SKANDER Mohamed, SEDDIKI Ahmed, SAADALAH Omar, SELMANE Aissa, SAIDI Rachid, SLIMANI Hocine, SEBBANE Lakhdar, TRIKI Mahmoud, TRIKI Abdelmadjid, TAOUGHI Ahcene, TABAI Brahim, TALAB Mohamed, TABOUCHE Salah, ZAIMIA Ali, ZAIMIA Md Salah, ZIOUCHE Mohamed, ZEMALI Rebai, ZELFA Amara, HASSANI Cherif, KOUARTA Brahim, SASSI Abdelmadjid.
A suivre...